La situation initiale


Dans la ville de Nantes se déroule le récit du spécialiste de l’enduction de couches minces sur films minces : Armor Group, entreprise centenaire fondée en 1922. Lorsque la famille Rufenacht décide de la céder, elle fait appel à Hubert de Boisredon en 2004. Le directeur général fraîchement appointé sait que d’ici trois à cinq ans, il devra s’appuyer sur des actionnaires on ne peut plus pointus. Pour l’heure, il mobilise les équipes et s’investit, imaginant porter les activités de l’entreprise bien au-delà des seules imprimantes laser ou à jet d’encre. Face à l’ampleur de la tâche, le dirigeant peut compter sur deux caractéristiques. La première est historique, la seconde plus personnelle : Armor Group a fait sa réputation dans l’innovation, en développant des technologies qui ont su s’imposer dans le monde ; Hubert, lui, aura l’audace de les déployer à travers le globe. Sitôt qu’il est diplômé d’HEC, le jeune homme avait en effet saisi l’opportunité de partir pour le Chili et d’y créer la première société de capital risque du pays destinée au développement des petites entreprises, un fait digne des annales. Ce sera aussi la première réussite personnelle d’un espiègle qui prend les modèles et les renverse. Son goût pour l’entrepreneuriat l’a ensuite poussé à bâtir avec un ami Contigo, l’une des premières banques de microcrédit d’Amérique Latine, puis à diriger la Région Asie-Pacifique et développer les ingrédients pharmaceutiques du groupe chimique Rhodia-Solvay.

L’élément perturbateur


Durant sa décennie initiale à la direction générale, Hubert fait plus que mettre Armor Group en ordre de bataille. Il insuffle les enseignements tirés de sa carrière dans la région Asie-Pacifique, impulsant l’exportation du savoir-faire hexagonal en pilier de croissance. Et surtout, Hubert garde au cœur ses responsabilités d’industriel – impact environnemental, problématiques sociétales. Parce qu’il est entouré d’une équipe ambitieuse et focalisée sur la réussite tout en honorant la RSE, parce qu’il n’a pas quitté son rêve des yeux, Hubert sent qu’il peut ici concilier les deux. Mais la date de cession approche d’autant plus que les performances s’alignent avant le virage à négocier. Avec les soixante-quinze pour cent du capital de la famille Rufenacht et les vingt-cinq pour cent du fonds d’investissement IDI dans la balance, qui se montrera acquéreur d’Armor Group, sans dénaturer cette vision qu’Hubert a chevillée au corps ? Car il y a les paraphes, ce à quoi l’on s’engage sur le papier, et il y a ces principes qui ne sauraient être froissés.

Les péripéties


Bien que le dirigeant ait reçu, pour le compte des actionnaires, de multiples marques d’intérêt provenant d’investisseurs, Hubert soupèse ses hypothèses et se rappelle un souvenir chaleu-reux d’un certain contact de la banque Indosuez. Après plusieurs années de conseils somme toute créatifs, ce dernier a rejoint l’aventure Orfite. Aux retrouvailles succède rapidement l’axe de travail : enfin un interlocuteur enthousiaste car Hubert ne demande pas la Lune – simplement de permettre de devenir leader mondial des consommables d’impression transfert thermique pour l’impression des étiquettes code-barre, tout en poursuivant les projets d’innovation dans les films photovoltaïques souples et les collecteurs enduits pour batteries électriques. Par-delà les océans, l’empire créé par les trois frères Lehman s’évapore au même moment, et sa taille est telle que la vague atteint la France. Les devises s’affolent et la bourse dévisse, les voyants virent au rouge et la prudence excessive gèle les affaires. Pour arrêter Hubert, il aurait fallu plus qu’une atmosphère de défiance ; d’un trait, il traverse la France pour convaincre Orfite. Le voici un beau matin à Lyon et un peu échevelé par une nuit en auberge de jeunesse, avant tout révélatrice d’une détermina-tion, d’un état d’esprit. Une bravade qui en préfigurait d’autres, et ne manqua pas d’être saluée : le 14 novembre, le LBO Armor Group est signé, un des rares dans tout l’Hexagone sur le deuxième semestre 2008.

Le dénouement


Hubert fait sa part s’agissant d’économie circulaire ; en recyclant des cartouches d’impression usagées, Armor Group s’implique dans des démarches solidaires, démontrant que des populations dites fragilisées ont elles aussi leur force à donner. D’expansions bien senties en dépenses réfléchies, le dirigeant dépasse tous ses KPI, et bénéficie d’une liberté rare à la tête de son ETI – répercuter le tiers de l’excédent brut d’exploitation dépassant des prévisions du BP dans la R&D. Une stratégie avec la fougue pour vecteur, raccord avec son côté explorateur : des filaments 3D aux composants pour batteries lithium-ion championnes en Europe, sans oublier l’innovation photovoltaïque, Armor Group a depuis toute latitude pour sonder les mystères des énergies. Trois-cents salariés actionnaires se rallient autour de cette ambition de conquête ; à mille lieues de Nantes, c’est sur quatre continents que le drapeau se plante, de la Colombie au Canada, de l’Inde à la Turquie, et jusqu’au Kenya. À chaque fois qu’un nouveau palier est franchi, le dirigeant sait que ses investisseurs accueilleront positivement la nouvelle ; que le prochain objectif s’accompagnera d’une question quasi-rhétorique pour Hubert : « Alors, vous vous sentez de le faire ? »

La situation finale


S’il a créé la surprise en annonçant ses intentions, personne n’avait vu venir le dirigeant au moment de la cession : des mois qu’Hubert fédérait ses directeurs autour d’un rachat des parts, car il voulait que les salariés de l’entreprise soient maîtres de leur trajectoire, plutôt que voir l’entreprise rachetée par un concurrent ou un nouvel investisseur majoritaire. Avec plus de trois-cents collaborateurs coactionnaires désormais en appui et une stratégie osée, mais définie, il ne restait que la question du prix. Puisque Orfite n’a jamais eu recours aux enchères, la parole donnée, le professionnalisme des équipes et le soutien des banques historiques ont suffi à réaliser ce vœu des plus chers.

D’une entreprise locale et familiale, Armor Group s’est transformée en un leader managérial mondial aux nombreuses filiales, déployées sur quarante- trois sites à l’international.

– Une histoire rendue possible par Orfite.